Témoignages de facteurs
Vincent Bernolin
"J'accorde une importance particulière à laisser le bois se reposer pendant quelques mois entre les diverses phases de la fabrication : débitage en carrelets, mise au rond, préperçage sont des opérations qui sont espacées de deux à trois mois. Le buis subit un traitement spécifique : il est plongé dans l'huile chaude pour parfaire le séchage et résoudre les tensions internes qui se sont accumulées au cours de la pousse. Il est ensuite trempé pendant quelques jours dans de l'huile de lin à température ambiante pour améliorer ses qualités acoustiques et pour limiter les échanges hygrométriques avec l'extérieur."
(…)
Ne démontez jamais le bouchon de votre flûte, ne tentez pas d’intervenir sur l’instrument de quelque manière que ce soit.
(…)
"Quel est l'outil que vous préférez et que vous utilisez le plus souvent ?" Réponse : « La poubelle ! »"
Philippe Bleazey
"Le bouchon de la flûte présente une importance cruciale dans les performances de l’instrument. La plus petite égratignure sur sa surface peut ruiner tout l’instrument. "
Philippe Bolton
"Le buis, bois très dur donnant des surfaces extrêmement lisses, était l’essence la plus employée à l’époque baroque pour les flûtes, car il permettait d’obtenir une sonorité brillante, bien adaptée aux instruments solistes. Afin d’assurer une stabilité optimale, les morceaux de buis sèchent souvent 10 à 20 ans avant d’être utilisés.
L’idéal est de travailler le buis peu à peu, par petites étapes, un peu à chaque fois, pour minimiser les perturbations portées à l’équilibre interne du bois. Le buis a besoin d’un long repos entre la perce de guidage et la perce de son âme, par le fait de sa grande élasticité, alors qu’un bois moins élastique, comme le palissandre peut-être travaillé dans la foulée."
(…)
"Les réglages initiaux peuvent ne pas donner les meilleurs résultats musicaux. De plus le bois étant une matière vivante, susceptible de se modifier avec le temps il est possible qu’une flûte ne sonne pas de son mieux au bout d’un certain laps de temps. En règle générale il vaut mieux éviter d’effectuer des réglages sur des instruments de très haute qualité réalisés à la main. Plus une flûte est proche de la perfection, plus il faut comprendre l’intention de son créateur pour être capable de la régler convenablement sans risquer de modifier ou de compromettre un équilibre délicat. Ces travaux sont à confier au facteur lui-même."
Jorg Botuha
"J’utilise aussi du buis mais ce n’est pas une essence qu’on travaille le plus couramment parce que c’est un bois très capricieux, on y trouve beaucoup de défauts, il appartient à ces catégories de bois qui sont moins homogènes au niveau de la qualité, avec des nœuds… C’est très dur de trouver du beau buis, il y a beaucoup de perte.
Quant on fait un bel instrument, qu’on arrive à la fin et qu’on s’aperçoit qu’il y a un problème, on perd trois jours de travail et ça se termine le plus souvent à la poubelle. Donc, avec le buis, il faut faire très attention. Il faut le faire sécher très longtemps car c’est un bois instable, moins stable que l’ébène."
"Je n’arrive pas à me séparer de mes flûtes. Ecoutez bien j’éprouve un sentiment mystérieux. Je me trouve comme un père avec ses filles qui s’inquiète de les voir s’éloigner entre d’autres bras. Mes flûtes seraient donc mes filles ?
Toutes sorties du même moule et toutes différentes. Allez savoir pourquoi. Celle là a la peau plus sombre que sa voisine. L’ai-je laissée un peu trop longtemps dans son bain d’huile de lin ? Celle-ci a une voix plus puissante que cette autre. Est-ce la taille de sa lumière d’une fraction de millimètre plus grande que ses soeurs ? C’est quand même étrange. Je les fait toutes pareilles. Même dimensions, même geste, même façonnage, même gestation. Et elles sont dissemblables. Est-ce ma main qui a effleuré l’arrête de ce biseau et ôté un micron de bois en trop ? Est-ce cette fistule, masquée au fond du corps, cancer invisible mais présent ?
Chaque paramètre est si important et si inter-opérant que s’en est désespérant.
Elles sont comme des enfants avec leur tête et leur corps, leurs lèvres et leur labium, leur timbre et même leur âme. Elles sont bien des êtres de vie qui chantent et bafouillent, bavent en s’engorgeant de salive puis se taisent le souffle arrêté, la voix qui s’échauffe et donne son meilleur, la voix qui fatigue et devient plus aigue, la chair douce et lisse sous le doigt, le grain velouté de la peau de bois. Et l’entretien de leur corps comme un enfant qu’on cageole. Qu’on torche d’une geunille et qu’on huile, comme fesses a sècher, d’un peu d’huile d’amande douce achetée en pharmacie.
Elles sont bien des enfants qui naissent un jour mais ne quittent leur foyer qu’après une longue et prudente éducation. Bébé qui ne bafouillent leurs premières notes que 5 minutes par jour la première semaine. Puis, progressivement, et sans trop forcer leur voix, 15 minutes la semaine suivante. Entre les mains de leur enseignant elles progressent, vieillissent, jusqu'à devenir, des flûtes confirmées après des heures d’exercice, de rodage.
Le pire, hélas, c’est que comme un être vivant, leur existence aura un terme. Un terme retardé par un entretien régulier, le sain exercice entre les mains de leur maître, un bon musicien, soigneux et consciencieux. Mais hélas, trop soumis à cette alternance de chaud et de froid, de sec et d’humide, leur corps mille fois stressé finira par se fatiguer et dépérir. Et elles disparaîtront après avoir, peu à peu, décliné comme des vieillards.
Elles ne seront jamais des Stradivarius, ces cousins de musique, Faust qui ont conclut un pacte avec le Diable pour donner le meilleur au gré du vieillissement du bois. Outils qui survivent à leur maître. Violons orgueilleux, si prisés, si adulés, si coûteux ! Bien facile de faire le coq lorsqu’on ne mouille pas sa chemise comme mes flûtes. Bien facile de se faire entendre avec un vaste corps. Bien facile de survivre en changeant si facilement ses cordes en boyaux.
Mais violons orgueilleux qui ne connaîtront jamais le doux baiser de leur maître, ni l'étreinte directe de ses doigts sur votre corps. Votre maître ne vous réchauffera jamais la tête dans le creux de sa main et vous ne vous endormirez jamais douillettement au fond de sa poche."
"Me voici à mener un bien curieux exercice. Tenter de justifier mon amour, ma passion pour la flûte à six trous (whistles) sans tomber dans la caricature psycho machin. Vous êtes attirez par cet instrument ? Mais c'est parceque vous êtes obnubillé par le sexe. La flûte est par essence un instrument phallique ! Votre passion dévoile votre masculinité exacerbée.
Vous aimez le whisle ? Mais à quel âge avez-vous donc été sevré ? Savez vous que le bec de la flûte dans votre bouche représente le têton du sein de votre mère ? Et lorsque que vous soufflez dans votre instrument vous rejouez votre oedipe mal digéré !!
Je connais toutes ces interprétations et elles m'ont longtemps gelées dans ma recherche d'explications à... ma dépendance au whistle. Dépendance non pas comme musicien. Je passe des jours sans en jouer, lui préférant mon concertina, ma famille, mon modélisme naval. Ma dépendance se situe au niveau de l'objet : envie de me remettre au tour à bois, de le refaçonner comme un créateur jamais satisfait, de creuser son mystère. De parvenir à la flûte parfaite reproductible à ma volonté.
Et combien l'ai clâmé haut et fort : la flûte parfaite, idéale, n'existe pas dans l'absolue. La flûte idéale pour vous est simplement celle qui vous convient et qui ne conviendra pas spécialement à un autre.
Mais quand même, comment reproduire, indéfiniement, MA flûte idéale ?
Car c'est bien celà la question. Solen Le Souef, facteur de flûte professionnelle dont j'admire la production, me l'a dit "c'est fou ce qui se passe dans un wooden whistle et assez incontrolable !"
Me voici comme un scientifique cherchant à percer le mystère de son domaine de prédilection. L'origine de l'Univers pour un astrophysicien, les mécanismes de la reproduction cellulaire pour le cancérologue. C'est l'image la plus forte à laquelle j'assimile ma passion. Doit-on y trouver un amour coupable ? Accuse-t-on le scientifique dans sa quête ?
Cette passion se renouvelle constamment, car, à chaque fois que je pense lever un coin du voile et découvrir une recette pour garantir le succès de ma prochaine flûte, je me heurte à un nouveau mur. "J'ai bien appliqué la règle et le succès n'est pas au rendez-vous ! Oui, mais en modifiant ce paramêtre, tu as bouleversé l'équilibre de ta flûte et tout est à reprendre.... si la reprise est possible"
Cette recherche de l'équilibre, du relativisme, ce balancement entre l'espoir et la désespérance.... J'ai l'impression de vouloir faire tenir en équilibre un éléphant sur un tête d'épeingle. Les paramêtres à maîtriser sont trop nombreux et surtout trop fins. Le dixième de millimètre ? le micron ? et puis également ce qui ne se voit pas : la structure du bois, combien peu homogène, à la différence du métal (pourquoi avoir choisi le bois ?) Cette maîtrise garantie est impossible sauf avec un coup de pouce du hasard. J'en viens à croiser les doigts pour que les dieux du destin favorable soient à mes côtés pour la réussite de mon entreprise. Attitude contre productive, anti scientifique, car pour une flûte réussie par hasard combien râtée sera la prochaine.
J'évoquai plus haut le fait d'avoir retenu le bois pour mes travaux. Là ce trouve peut-être la responsabilité, la culpabilité. Un choix à assumer.
Tu as choisis le bois, assume ton choix. Tu le sais bien, cette matière est vivante, elle bouge dans le temps, elle n'est jamais semblable à sa voisine par sa carnation, son grain, son veinage, sa structure interne, sa dureté, sa couleur, sa flagrance etc... etc...
Me voici avec cet objet vivant. Curieuse vie. Point de chair humaine sans doute mais qui bouge quand même, qui varie, qui n'est jamais la même, a sa propre histyoire, sa propre vie, sa propre odeur, sa propre voix.
Me voici comme un fumeur de cigare qui tripotte constamment son baton de tabac avant de le porter à sa bouche. On dit le fumeur drogué, le suis-je à mon tour ?
Analisons les choses froidement comme un psy pourrait le faire. Bon, la flûte est le premier instrument (un tin whistle Generation en Si bémol) que j'ai appris à jouer. Je me revois m'entrainant dans ma chambre de la rue Lecourbe à Paris, allongé sur mon lit, appelant ma soeur comme témoin de mes sucès. Un instrument moins bruyant que ma bombarde que je m'efforcai d'apprivoiser. Moins douloureux également, alors que du bonheur !
Mais qui n'était alors point en bois, que de métal au laiton oxydé par la sudation de mes doigts.
L'amour, le désir du bois vint plus tard. Un amour peut-être honteux pour rebâtiser le tin en wood.
Et parfois également lassitude. Je vais trop vite. Je dévore plus que ne déguste. Et je transpire en découvrant que je réalise ce nouvel instrument comme le ferai un fumeur à cramer encore une cigarette. Par drogue plus que plaisir. C'est cela je suis drogué, mais est-ce que j'en tire un réel plaisir ? Parfois j'en doute.
Qu'il est vain de produire en série. Pour qui, pour quoi ? Me voici avec un tas d'instrument, mais je n'ai qu'une bouche et deux seules mains. Au fond de moi j'aspire à me séparer d'elles : les donner ces flûtes, ou les vendre, je ne sais pas. Pour me faire connaitre, me faire reconnaitre. Faire partager mon plaisir à d'autres. Me libérer.
En fait malgré tout ce que j'ai pu affirmer ce que je recherche toujours, comme mon Indiana Jones, c'est...la flûte parfaite !
"
Bruno Reinhard
"J'ai aussi besoin de temps pour mûrir une flûte, pour la jouer, la sentir dans son timbre, ses attaques, son homogénéité, son grain particulier et son aisance dans chaque registre. Une flûte neuve bouge beaucoup, vous en savez quelque chose s'il vous est arrivé de rôder des instruments. Le bois prend sa place petit à petit au fur et à mesure que le souffle humide lui rend la vie. Comment pourrais-je ne pas attendre cette renaissance du bois avant de vous délivrer mon oeuvre. Pour ce faire, je joue chaque flûte une dizaine d'heures en autant d'étapes et de retouches avant de vous l'envoyer.
Ces opérations qui demandent une concentration maximum fatiguent l'oreille et l'esprit. La flûte à bec n'est pas un instrument facile à réaliser et à comprendre (tous les acousticiens s'y cassent les dents) car contrairement aux hautbois, clarinettes, flûtes traversières, cuivres etc. nous construisons le son dans le bec de la flûte et cette construction nécessite des ajustements extrêmement précis de l'ordre du dixième de millimètre (imaginez qu'effleurer l'arête d'un chanfrein à la sortie du canal avec un abrasif des plus fins suffit à modifier totalement le son).
Vous aussi êtes acteur du développement harmonieux de votre flûte. Votre façon de la rôder et de la jouer, le soin que vous apportez à son entretien, transforment sa sonorité et ses possibilités dans votre sens ; cette magie du jeu qui fait que, tout comme une bouteille de bon vin, rien ne vaudra votre flûte bonifiée par le temps, comme le dit si bien Quantz dans son traité"
(…)
"Je suis l'homme d'un instrument chaque fois unique, avec la souplesse que cela permet à chaque instant, jusqu'à parfois l'instrument "magique" que nulle mécanisation ne produira jamais. Je n'aime pas la standardisation et tous les blocages que cela entraîne.
Depuis plus de vingt ans je tiens ce difficile équilibre dans une économie de marché qui ne comprend plus la notion de temps, ni celle de "bel ouvrage", je tiendrai bien encore vingt ans..."
Jacqueline Sorel
"Mon travail ne s'arrête pas à la livraison de ma flûte. Toutes les ouvraisons postérieures sont à mener en liaison avec les choix du musicien tels réglages, réaccordages, révisions et restaurations."
Paul Busman
"Voicing is the process of creating the actual parts of the whistle that make the sound. In my own whistles, for example, this includes cutting the windway and the square "window", forming the ramp, rounding or beveling the end of the fipple plug etc. Very tiny changes in any of the dimensions of these areas can have a huge effect on the sound of a whistle: whether it has a strong low octave, or an easy to reach high octave, or hopefully both. Whether or not it has a lot of chiff or is pure sounding. How loud the whistle is, etc. I'm convinced that part of this is magic . I can try to make two exactly identical whistles of the same wood, cut from the same piece, all dimensions as close as I know how and yet they may end up with entirely different "voices" or personalities. Maybe not better or worse, but definitely different. To me, this is one of the most exciting parts of making whistles."
Henri Gohin
"vous faites tout bien, vous façonnez votre instrument le plus soigneusement possible et puis quand il commence à parler il a ses caprices, il faut tatoner, chercher et puis il y a toujours une petite différence d'un instrument à l'autre. La difficulté c'est d'être le plus régulier possible"