Mes rencontres (5)

 

 

Installé à Nantes pour quelque temps, Christophe Hervé, facteur inventeur de l'extraordinaire "Still Wave Pipe", me reçoit chez lui le 10 décembre 2009

 

Christophe, après de longues recherches et le soutien de l’IRCAM comme du laboratoire d’acoustique musicale CNRS de l’université du Maine, a inventé puis breveté une cornemuse électro-acoustique (ou endophone) révolutionnaire en ce sens où l’instrument ne diffuse pas des samplers comme ses concurrents (des échantillons de notes numériques stockées) mais, comme nos propres instruments à vent, forme chacune de ses propres notes en donnant à l’interprète la faculté de s’exprimer naturellement par toutes les ornementations possibles, les glissés, les claqués. Ici pas de numérique, que de l’analogique. L’instrument renvoie à l’interprète le "toucher", la sensation tactile du sonneur de bois. Une illustration : les trous de notes sont de tailles différentes, la preuve que l’instrument est bien taillé comme une flûte et non comme un piano dont les touches sont de même taille. Autre illustration : les enregistrements proposés par les autres instruments synthétiques ont des blancs de commutation entre chaque note jouée, et pour le faire oublier, leurs concepteurs ne présentent que des morceaux rapides. C’est effectivement remarquable que personne ne s’aventure à diffuser une marche lente en 4/4 à titre d’exemple, ou un slow-air dans un tempo plus lent encore.

Personnellement c’est le gendre d’instrument qui me redonne l’envie de revenir au uilleann-pipes après un abandon contraint par le fait de troubles musculo-squelettiques.

Malheureusement il me (nous) faudra attendre avant de trouver cet instrument sur le marché puisque mon ami cherche un producteur. Affaire à suivre. Si vous connaissez de bonnes pistes merci de le contacter (cf son adresse dans la partie liens de mon site).

Le dernier prototype, en Si bémol, de Christophe. Un look très Jules Vernien... J'adore !

L'ancêtre du SWP. Un mastodonte mais déjà (et toujours) bien opérationnel.

L'instrument fonctionne avec des batteries de modélistes. Ce qui lui confère une autonomie considérable.

Christophe règle l'instrument, ainsi, par exemple, pour y rajouter un bourdon.

Plusieurs accessoires peuvent s'y brancher, pédale, enceintes etc..., multipliant, pour ceux qui le souhaitent, les possibilités de timbres, de tonalités, de jeux.

Les échanges entre facteurs. Tu mes prètes ton endophone...

... et je te passe ma Yarig Du !

Une pose musicale avant mes questions et les réponses de Christophe.

Extrait sonore N°1
Extrait sonore N°2
Extrait sonore N°3

 

Ci-après quelques questions posées à Christian (en caractères gras) et ses réponses (en caractères maigres)

 

- Tu as développé, comme amateur puisque tu exerces comme moi un autre métier que celui de luthier, un instrument qui me semble incroyablement technique, en tous cas bourré de technologie. As-tu une formation qui t’y prédispose (ingénieur en acoustique par exemple) ou es-tu, comme-moi, un autodidacte ?

J'ai eu la joie de croiser le chemin de personnages passionnants au cours de mes études et de ma vie professionnelle. Je n'ai rien d'un grand scientifique, mais quand un art ou une technique me plaît, me fait rêver, lorsque c'est possible j'apprends les bases du métier (en gros, au restaurant, quand quelque chose m'étonne, je demande l'autorisation au chef de rang de passer en cuisine et j'écoute et regarde) La facture musicale m'a été enseignée par un facteur de boudègue,galoubets et de flûtes, c'est arrivé dans les années 85,86. Étudiant en génie des matériaux et en mécanique, à Tarbes je me suis joins à un danseur, un sonneur, un oboiste baroque et nous avons pour le plaisir additionné nos compétences avec celles d'un tourneur armurier et d'un facteur de bois. Le résultat fut une petite série d'instruments pour un conservatoire, l'apprentissage d'une méthode d'investigations sur des instruments précieux de musée, radio et echographies, et la mise au point d'un forêt autocentreur pour les forages longs au tour.

La plus belle chose que j'en ai retirée c'est un art d'apprendre et de concevoir dans la simplicité. De grands théoriciens, de puissants scientifiques poussent des recherches aux derniers retranchements des savoirs du moment, il suffit de les lire ou mieux de les écouter. De merveilleux artistes développent l'art de la facture instrumentale avec une maitrise qui féconde des chefs d'oeuvre de toute beauté; souvent il suffit de les regarder et les écouter.

L'acoustique, je l'ai apprise plus tard, dans les années 90 durant deux ans à l'Ecole Navale. Deux personnages ont eu beaucoup d'importance: Mr Quinquis, pour le traitement du signal, co-inventeur des systèmes VAMPIR (Veille Autonome Panoramique Infra Rouge) et Mr Renard, une sorte de mage passionné d'acoustique qui débuta sa carrière dans les tirs de fusées en Antarctique dans les années 50 et qui prit part au développement des sonars modernes. Pour le plaisir, pendant sa retraite il se mit à l'enseignement. Ma naïveté les a fait souvent sourire! Mais bon, l'arche de Noé a été construite par des amateurs et le Titanic par des professionnels!

La technologie employée pour l'endophone n'est pas extraordinaire, le seul élément qui en fait un découverte c'est l'association inédite de connaissances qui n'ont jamais été associées, en outre la facture instrumentale, le traitement du signal analogique et des propriétés acoustiques mises en évidence dans les années 1930. Il faut encore y ajouter un art humble: celui d'utiliser des résultats empiriques que la théorie ignore.

Thomas Edison disait que pour résoudre un problème impossible, il fallait le confier à un amateur, car lui ignorait que c'était impossible...

- Je m’intéresse spécifiquement à la musique traditionnelle irlandaise (MTI). J’ai personnellement évolué de la musique bretonne à la MTI. Tu nous parles dans ta documentation de musique bretonne ou espagnoles (gaïta). Envisages-tu d’évoluer vers un instrument qui m’est très cher : le uilleann-pipes ? Est-il possible d’imaginer un endophone offrant chanter, bourdon ET régulateurs pour faire les accords ?

Pour ma part, je voue une grande admiration pour les sonneurs de Uillean Pipe, c'est un exercice qui demande une agilité d'esprit et la faculté de gérer une ergonomie vraiment exotique! Et le son d'un Uillean pipe est propre à inspirer de la poésie à un orque ou un phillistin! Un endophone ne sera jamais un uillean pipe, certes, il pourra scependant 'adapter et permettre de réaliser des accords bourdons commandés par des clés manoeuvrables à la paume ou au pouce droit. Pour ma part, j'ai essayé un tiroir commandé par le pouce droit, c'est pas mal pour un novice!

- Si tu te décides pour un uilleann-pipes, quel en sera son doigté ? Celui qui lui est spécifique ? Un autre ? Peux-tu proposer à la demande un doigté ? J’avoue qu’ayant perdu la pratique du pipes il ne me déplairait pas de jouer du SWP comme d’un whistle ou d’une flûte en bois.

Après différents essais, le doigté qui tire le meilleur parti de l'endophone est celui du whistle, je lui ajoute le La bémol des pipers pour l'auriculaire et les « birls ». Un doigté de cornemuse est réalisable, mais on se prive de pas mal d'ornementations nouvelles et de fourches très utiles pour jouer vite les altérations. On joue de l'endophone comme d'un whistle, c'est un fait!

- Je relève sur le chalumeau de ton SWP des trous de notes décalés. Est-ce pour des raisons d’ergonomie ?

J'ai décalé le trou destiné à l'auriculaire, simplement parce que je ne joue pas naturellement avec les phalanges à main droite comme au pipe qui laisse le La bémol dans l'axe (beurk!) La position axiale d'un trou de jeu est de toutes façon indifférente, la source d'impulsions est située sur l'axe central, contrairement à la flûte où la source est tangente au tube, donc, sur l'endophone le parcours des ondes progressives est parfaitement symétrique.

- La dernière fois que nous nous sommes rencontrés tu n’as pu jouer de ton endophone. J’ai cru comprendre qu’il y avait une raison liée à l’humidité ambiante. Ton instrument souffre-t-il de limitation liée à l’hydrométrie ? Connait-il d’autres restrictions ?

C'est la température qui m'a joué un tour, j'ai pré-réglé le gain d'oscillateur à une valeur faible car ces derniers temps je jouais en intérieur (le pré règlage est accessible en ouvrant le boitier), du coup, en air froid, je n'avais pas assez de « potard » pour me caler en la 440 avec les autres instruments. C'est comme une flûte, le son est fonction de la température, je pense qu'a l'avenir je placerai un interrupteur « hiver » pour décaler la plage de réglage du La (de 440 à 448).


- Je joue en session, c’est-à-dire dans des bars où il n’est pas possible de me rendre avec un instrument de musique encombrant et volumineux.. Quel est l’encombrement et l’autonomie du SWP ? Est-il nécessaire de le raccorder à un ampli (voire à d’autres accessoires telle une pédale) ou le boîtier, tel qu’il est visible sur la photo, reprend-il tout "le nécessaire" ? Fonctionne-t-il raccordé au secteur ou avec des batteries intégrées ?

L’endophone est fait pour travailler avec un ensemble ampli/pédale WAH de type guitare. On peut s’entraîner avec l’instrument seul, mais il n’est vraiment exploité que branché sur un bel ampli de guitare électrique avec un tantinet de réverbération via une « Cry Baby » DUNLOP ou une pédale AX1G Korg disposée sur la sonorité « Funky », ou tout autre équivalent générique. La position de pédale fait varier le rendu sonore de façon extraordinaire, cela va de la douce veuze à la cabrette en passant par un lot de déclinaisons inédites plus ou moins fleuries, pures ou complexes à souhait. Nota: l'ampli peut très bien être au format d'un carton à chaussures! On en fait de pas mauvais aujourd'hui, mais pour ma part, je préfère les monstres à lampes (que je fabrique également). Pour ce qui est de l'autonomie, j'ai emprunté les techniques développées pour le modélisme, les accus de l'endophone peuvent durer 8 à 10 jours en utilisation une heure par jour...